Dans le monde du développement d’applications, on entend souvent parler de bon sens pour justifier certaines décisions. “Faisons cela, c’est évident”, “Nos utilisateurs préfèrent sûrement cette approche”. Cependant, ce fameux bon sens peut parfois être un piège. Ce que nous percevons comme intuitif ou évident est souvent influencé par des biais cognitifs, des raccourcis mentaux qui altèrent notre jugement et risquent de conduire à de mauvaises décisions.
Comprendre et reconnaître ces biais est essentiel pour concevoir des applications plus efficaces, centrées sur l’utilisateur, et éviter de prendre des décisions basées sur des suppositions erronées.
Le “bon sens” : une notion trompeuse
Le bon sens, c’est cette idée que certaines choses sont évidentes et vont de soi. Par exemple, on pourrait penser que :
- Les utilisateurs sauront instinctivement comment naviguer dans une interface.
- Les fonctionnalités les plus visibles seront automatiquement les plus utilisées.
- Si un design plaît à l’équipe, il plaira aussi aux utilisateurs.
En réalité, ce qui paraît évident à une personne (ou à une équipe) ne l’est pas nécessairement pour d’autres. Ce biais s’appuie souvent sur des expériences personnelles, des intuitions et des habitudes. Or, les utilisateurs peuvent avoir des attentes très différentes, être influencés par des environnements culturels ou technologiques divers, et réagir de manière imprévisible.
Les biais cognitifs qui influencent la conception
Voici quelques biais cognitifs qui affectent couramment les équipes lors de la conception d’applications :
1. Biais d’ancrage
Le biais d’ancrage nous pousse à accorder une importance disproportionnée à la première information rencontrée (l’ancre) lors de la prise de décision. Par exemple, si la première idée proposée pour une fonctionnalité ou un design semble bonne, il devient difficile de remettre en question cette idée ou de l’explorer en profondeur.
Solution : Créez un processus qui encourage plusieurs itérations de conception et teste des alternatives, afin d’éviter de vous fixer trop rapidement sur une seule option.
2. Biais de confirmation
C’est l’un des biais les plus répandus. Le biais de confirmation nous pousse à rechercher et à privilégier les informations qui confirment ce que nous croyons déjà, tout en ignorant ou minimisant les données qui remettent en question nos hypothèses.
Solution : Impliquez des personnes extérieures à l’équipe pour avoir un regard critique. Les tests utilisateurs sont essentiels pour valider (ou invalider) vos hypothèses sur ce que les utilisateurs veulent réellement.
3. Effet de Halo
Le biais du Halo nous amène à juger une application ou une fonctionnalité dans sa globalité sur la base d’un seul attribut. Par exemple, si une application a un design attractif, on pourrait supposer à tort qu’elle est aussi bien fonctionnelle, même si ses fonctionnalités sont mal pensées.
Solution : Évitez de trop vous concentrer sur une seule dimension (comme l’esthétique) et veillez à maintenir un équilibre entre l’expérience utilisateur (UX), la performance technique et l’accessibilité.
4. Effet de dotation
L’effet de dotation nous fait accorder plus de valeur aux choses que nous possédons ou que nous avons créées. En conception d’application, cela se traduit par une résistance à abandonner des fonctionnalités sur lesquelles on a investi du temps et de l’énergie, même si elles ne servent plus les utilisateurs.
Solution : Adoptez une approche agile avec une volonté de faire évoluer l’application en supprimant des fonctionnalités inutiles ou en revoyant des éléments qui ne répondent pas aux besoins utilisateurs.
5. Le biais d’habitude
Ce biais repose sur l’idée que les utilisateurs préfèrent utiliser ce qu’ils connaissent déjà, même si une nouvelle solution est objectivement meilleure. Cela peut conduire à une réticence au changement, même lorsque des fonctionnalités ou des interfaces plus modernes sont disponibles.
Solution : Implémentez des changements progressifs plutôt que radicaux et fournissez des tutoriels ou un accompagnement pour aider les utilisateurs à s’adapter.
6. Effet de simple exposition
Les utilisateurs ont tendance à préférer ce qui leur est familier. C’est pourquoi certains designs qui semblent innovants peuvent rebuter au départ. Les équipes de développement doivent comprendre que le “bon sens” des utilisateurs est souvent lié à ce qu’ils ont déjà vu ailleurs, ce qui peut rendre difficile l’introduction d’innovations radicales.
Solution : Conservez certains éléments familiers tout en introduisant progressivement des innovations pour que les utilisateurs ne se sentent pas perdus.
Comment lutter contre les biais cognitifs ?
L’une des meilleures façons de contrer les biais cognitifs dans la conception d’applications est de construire une approche centrée sur l’utilisateur. Voici quelques bonnes pratiques pour y parvenir :
1. Tester, tester et encore tester
L’un des moyens les plus efficaces de surmonter les biais cognitifs est de tester régulièrement les hypothèses de conception avec des utilisateurs réels. Cela peut être fait via des tests d’utilisabilité, des questionnaires ou même des sessions d’observation.
2. Diversifier les points de vue
Impliquer des personnes ayant des points de vue différents (chefs de produit, marketeurs, développeurs, et surtout des utilisateurs finaux) dans les phases de conception permet de réduire les biais qui pourraient émerger d’une vision trop unilatérale.
3. Privilégier une approche itérative
Plutôt que de chercher à concevoir l’application parfaite dès le départ, adoptez une approche agile en petites itérations. Chaque cycle de conception et de développement doit être l’occasion de tester, d’améliorer et de corriger des éléments pour s’adapter aux retours utilisateurs.
4. Recueillir des données et les utiliser
Utilisez des outils analytiques pour comprendre réellement comment vos utilisateurs interagissent avec votre application. Les données permettent de prendre des décisions basées sur des faits, plutôt que sur des intuitions biaisées.
Conclusion : Le bon sens n’est pas suffisant
Dans la conception d’applications, s’appuyer uniquement sur le bon sens peut être trompeur. Il est crucial de reconnaître l’influence des biais cognitifs et de les contrer en adoptant une approche centrée sur les utilisateurs, basée sur des données et des tests itératifs. En étant conscient de ces pièges, vous pouvez concevoir des applications qui répondent vraiment aux besoins de vos utilisateurs et les surprennent de manière positive, sans laisser vos propres biais dicter vos choix.